Disposant de ressources humaines et financières limitées, les collectivités locales et territoriales doivent à la fois maintenir l’existant tout en se dégageant des marges de manœuvre pour mener des projets innovants. Comment résoudre ce casse-tête ? Les pistes suivies par les DSI de la métropole de Lille et de la région Occitanie.
Les collectivités locales et territoriales sont attendues au tournant de la transformation numérique qu’il s’agisse de simplifier le parcours des citoyens, de leur offrir des usages innovants ou de faciliter le quotidien des agents. Les contraintes budgétaires auxquelles elles sont soumises rendent toutefois difficile la conduite de ces projets. Elles doivent, par ailleurs, maintenir un système d’information vieillissant qui obère leur capacité à investir dans de nouveaux projets.
A défaut de s’affranchir totalement du “legacy”, quelles sont les solutions pour se dégager des marges de manœuvre et innover à isobudget ?
Rationaliser l’existant de la collectivité
Pour Benoit Dehais, DSI du conseil régional d’Occitanie, le premier chantier passe par l’amélioration de l’existant. “L’hétérogénéité a un coût et nous menons des efforts constants de rationalisation et de progicielisation. Cela se traduit par une revue de parc applicatif, une démarche d’urbanisation et une standardisation des systèmes d’exploitation et des bases de données avec – pour principe -, pas plus de deux versions différentes d’un même produit.”
De manière plus générale, Benoit Dehais estime que pour pouvoir innover, “il faut, comme on dit au rugby, être bon sur ses fondamentaux. Si le système d’information est performant au quotidien, la direction générale et les métiers vous reconnaissent plus volontiers une capacité à innover.”
DSI de la Métropole Européenne de Lille (MEL), Sabine Guillaume doit, elle aussi, se confronter au poids de l’existant. “Notre parc qui comprend 600 applicatifs s’est constitué par strates et couche sédimentaires successives, générant des doublons. Des applications font la même chose dans des services différents.”
Pour remédier à ce phénomène, elle a lancé il y a quelques mois un programme d’urbanisation en dressant une cartographie du système d’information. “Dorénavant, les nouveaux projets doivent tenir compte de l’existant et intégrer l’obsolescence des applications“, poursuit-elle.
A défaut de s’affranchir de l’existant, Sabine Guillaume rappelle qu’il est possible de faire du neuf avec du vieux. “Par exemple, nous avons utilisé la brique de l’application mobile à destination des citoyens pour celle dédiée aux agents.” La DSI de la MEL a aussi recours à des solutions open source comme la plateforme France Connect pour l’authentification.
A son arrivée en 2015 à la DSI, Sabine Guillaume a demandé à ses chefs de projet de retenir des outils qui auront la capacité d’aller au-delà de la demande initiale. “Ainsi, quand un métier émet un besoin, nous pouvons lui proposer tel outil en magasin sans avoir de marché à passer, de benchmark à refaire. En retenant des solutions suffisamment évolutives pour couvrir différents besoins, on diminue le nombre d’applications.”
La DSI a aussi introduit à son catalogue des outils peu coûteux qui couvrent bien un domaine fonctionnel comme Trello pour la gestion de projet ou Yurplan pour la réservation d’événements.
Passer en revue les contrats prestataires
Benoit Dehais mise, de son côté, sur le réexamen des contrats de prestation. “Comme pour les contrats d’assurance, il faut régulièrement réévaluer leur pertinence. Avec le temps, les périmètres de deux contrats de maintenance peuvent, par exemple, se chevaucher”. Avant tout modification de contrat, il procède à une évaluation du risque en concertation avec les métiers.
Il veille également à ne pas fragiliser son écosystème. “Si tous les clients exigent une baisse de 10 ou 20 % sur leurs contrats, des éditeurs peuvent être en difficultés et ne plus pouvoir proposer de nouvelles fonctionnalités voire mêmes les mises à jour réglementaires. Sur le marché des collectivités locales et territoriales, on trouve de petits éditeurs de niche.”
Sabine Guillaume anticipe, pour sa part, avec inquiétude la fin du mode on-premise. “Certains éditeurs ont déjà indiqué l’arrêt du support, des correctifs ou des mises à jour d’ici 4 ou 5 ans. Il faut intégrer le coût de ce passage au mode SaaS. Les solutions on-premise ont, par ailleurs, une adhérence au SI. Pour notre intranet sur SharePoint, nous avons, par exemple, développé une surcouche à un coût élevé. Nous risquons de la perdre quand nous devrons passer à SharePoint Server 2016.”
Pour Frédéric Monnot, de Rimini Street, le passage en mode SaaS rend la dépendance aux fournisseurs (« vendor lock-in ») encore plus forte. “Avec le nuage ( « cloud »), l’application tout comme les données sont chez l’éditeur. Plus encore qu’en mode sur site (« on-premise »), les collectivités sont soumises au diktat de sa roadmap. Elles doivent effectuer les mises à jour, monter en version même si cela ne leur apporte aucune valeur.”
Leader mondial du support alternatif pour les ERP et les environnements Oracle et SAP, Rimini Street avance une économie de 50 % sur les prestations de support tout en s’engageant à supporter l’environnement existant pendant quinze ans avec un support personnalisé porté par un interlocuteur francophone désigné. ” Ces économies peuvent ainsi être réorientées vers la digitalisation des collectivités.”, souligne Frédéric Monnot.
Cloudification et mutualisation
La “cloudification” du système d’information est une autre piste. “Elle apporte de la scalabilité et de l’agilité, estime Benoit Dehais. Le problème du cloud c’est qu’il est imputable sur le budget de fonctionnement, nécessairement contraint pour les acteurs publics, à l’inverse d’une dépense d’investissement qu’il est possible d’amortir.” Pour contourner ce problème, la réflexion de la DSI de la région Occitanie porte sur la mutualisation d’un cloud privé avec d’autres acteurs publics.
Cette mutualisation est déjà à l’œuvre pour la conduite de projets innovants communs. “Avec les collègues des départements ou des métropoles, nous sommes 32 acteurs publics à l’échelle de la région. Ce qui donne un effet d’échelle. Nous avons, par exemple, mis en œuvre ensemble des outils de gestion d’inventaire patrimonial. Nous disposons aussi d’une centrale d’achats, baptisée Epsilon.”
La région Occitanie s’est aussi engagée avec Pôle emploi sur un projet particulièrement innovant en capitalisant sur les apports de l’intelligence artificielle dans le domaine de la formation professionnelle dont la responsabilité relève de la région. “L’IA va analyser le contenu des offres d’emploi locales pour dégager quelles compétences techniques et comportementales sont demandées. Nous allons ensuite croiser le contenu pédagogique de nos formations afin de s’assurer qu’elles sont en adéquation avec les besoins du marché et le cas échéant les ajuster.” Un premier budget a été dégagé pour l’analyse et la conception d’un démonstrateur et le projet est actuellement en pré-industrialisation.
Pour Benoit Dehais, l’innovation implique d’autres approches budgétaires. “Cela suppose une capacité à prendre des risques mesurés. La DSI doit faire accepter à sa direction générale qu’un projet n’aboutisse pas tout de suite à la différence d’un chantier classique. Le code des marchés publics envisage ce cas avec la possibilité de mener des études de cadrage.”
Nouvelles compétences, nouvelle organisation de la collectivité
Avec 80 agents au sein de sa DSI, la Métropole Européenne de Lille connaît une pyramide des âges vieillissante. Sous l’effet du papy-boom, 20 % de son effectif est parti ou va partir à la retraite sur la période 2015-2020. Se pose la question de leur remplacement compte tenu des tensions actuelles sur le marché du travail.
“Je n’avais jamais été confrontée à une telle pénurie de compétences, déplore Sabine Guillaume. Le bassin d’emploi local est pourtant dynamique, la métropole lilloise est agréable et comprend de nombreuses écoles d’ingénieurs. Mais il y a le problème de la rémunération, y compris entre collectivités.” Par ailleurs, pour chaque départ, l’iso remplacement est rare. “Les missions évoluent très vite et il faut assurer une montée en compétences, du poste de travail vers l’expertise.”
Benoit Dehais observe, lui, les impacts de la transformation numérique sur l’organisation de sa DSI. L’innovation va de pair avec l’adoption de méthodes agiles, des démarches DevOps et design UX. Il forme ses équipes à ces nouvelles approches méthodologiques centrées sur l’utilisateur. Pour autant, il rappelle que la DSI reste avant tout attendue sur la gestion du quotidien. “L’urgence est traitée en priorité, l’innovation passe dans un second temps.”
Comment s’organiser en conséquence ? “Faut-il avoir des équipes dédiées à l’innovation ou bien répartir l’innovation sur l’ensemble des compétences ?, s’interroge-t-il. A la région Occitanie, nous avons fait un choix entre les deux. Des animateurs font bouger les lignes tout en essayant d’embarquer le plus grand nombre de collaborateurs. Il ne peut pas y avoir le gars qui fait un job de rêve et, à côté, les soutiers.”
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