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Regards croisés sur les achats IT

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11/12/2019

Quand un directeur des achats, une DSI et un prestataire se posent ensemble les bonnes questions

Les DSI de notre communauté expriment souvent leurs interrogations sur les bonnes pratiques en matière d’achats IT, qu’ils travaillent avec une direction des achats, pilotent en direct leurs achats ou collaborent avec une fonction Finops. La fonction achats IT s’est professionnalisée depuis ces dix dernières années : elle a aussi évolué avec les nouveaux modes de consommation des technologies, cloud computing en tête. Qu’est-ce qu’un bon achat IT ? Comment déterminer le juste prix et les bonnes conditions contractuelles, en particulier face à certains éditeurs poids lourds du marché ? Comment collaborer efficacement entre DSI et Direction des achats ? Nous avons collecté ces éclairages sur le terrain.

Merci à Jean-Guy Philip Boisserolles de Saint Julien, directeur des marchés informatiques et de télécommunications à l’AP-HP (ACHAT), Arlette Quilleré, DSI de la Centrale de Règlement des Titres et Catherine Savaete, directrice de comptes Europe du Sud au sein de Rimini Street.

Comment les achats IT ont-t-il évolué ces dernières années ?

La dimension économique des achats IT prend plus de valeur

De gros challenges IT pour l’APHP

39 hôpitaux, 6 Groupes hospitalo-universitaires, 100.000 agents, un budget de fonctionnement global de 7 milliards d’Euros : l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris est le plus grand Centre Hospitalier Universitaire de France. Dans le domaine IT, le Département des marchés IT d’ACHAT gère environ 190 marchés actifs, représentant 270 M€ Ht. 40% de ses marchés étant passés au travers d’une procédure négociée.

Jean-Guy Philip de Saint Julien, AP-HP : « L’achat IT est de plus en plus vu non plus seulement comme un acte juridique, mais avant tout comme un acte économique. Cette lente maturation de la fonction achat a été incarnée avec la création de la fonction de directeur des achats, et le recrutement d’acheteurs spécialistes de ce métier, qui maîtrisent les mêmes méthodologies que celles employées dans le secteur privé, comme la matrice de Kraljic (1) ou encore la matrice de Porter (2). L’objectif de cette structuration des achats IT depuis 10 ans est de fiabiliser l’achat informatique, avec une approche de management de la qualité (le service Achat IT de l’AP-HP est certifié ISO 9001) »

           1. Matrice de Kraljic : représentation du portefeuille achat de l’entreprise, autour de deux dimensions, l’importance stratégique de la famille d’achat en termes de valeur, et la complexité du marché fournisseur.

          2. Matrice de Porter : modèle des cinq forces qui déterminent la structure concurrentielle d’une industrie de biens ou de services, à savoir le pouvoir de négociation des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des produits ou services de substitution, la menace d’entrants potentiels sur le marché, l’intensité de la rivalité entre les concurrents.

La maîtrise de l’achat IT est aujourd’hui une composante clé et complexe, du métier de DSI

Arlette Quilleré, CRT : « J’ai par le passé dû collaborer avec une direction des achats qui ne regardait que les prix et pas du tout les aspects opérationnels, ce qui était un frein aux projets. Aujourd’hui, je gère moi-même les achats IT, en tant que DSI membre du comité de direction et maître de mon budget, en m’appuyant sur une direction des achats dont le rôle est principalement administratif. »

Une double vision pour A. Quilleré

La CRT traite 725 millions de titres restaurant par an, soit une contre-valeur de 5,7 milliards d’euros. Sa DSI, également mentor, a forgé son expérience opérationnelle et sa vision stratégique globale lors de grands projets comme la transition du trading de la bourse de Paris, puis Euronext.

Quels sont les grands challenges actuels de l’achat IT ?

Les achats IT ont désormais pour mission d’accompagner la culture du changement… de fournisseurs

Jean-Guy Philip de Saint Julien, AP-HP : « En tant que direction des achats, nous sommes aussi là pour appliquer le principe de la libre concurrence et de l’égalité d’accès des entreprises à la commande publique. Une administration publique se doit d’éviter la captivité artificielle vis-à-vis d’un fournisseur, surtout sur des solutions primordiales pour notre activité. Nous essayons dans la mesure du possible de changer périodiquement de fournisseurs et d’accompagner la DSI à cette culture du changement. Cela permet effectivement d’obtenir de bonnes offres tarifaires et aussi d’éviter les situations de quasi-monopole. »

 Le TCO (total cost of ownership) prévaut aujourd’hui

Catherine Savaete, Rimini Street : « La facture de maintenance annuelle payée aux éditeurs ne représente qu’une partie des frais générés par l’entreprise pour le bon fonctionnement de leurs logiciels. Les entreprises doivent implémenter des patches et parfois considérer une montée de version pour rester supportées, ce qui représente un coût significatif. Une vision globale doit être partagée entre les prestataires informatiques et leurs clients, avec une volonté commune d’optimiser le coût total de possession et de faciliter les évolutions.  »

Rimini Street, leader du support alternatif sur les grands ERP

Rimini Street est un fournisseur mondial de services et produits logiciels d’entreprise, et le premier prestataire de services de support tiers pour les produits logiciels Oracle et SAP.

Des fonctions hybrides, comme les Finops se développent

Arlette Quilleré, CRT : « La fonction de Finops (ou financier des opérations) se développe. Ces profils très hybrides, à la fois techniques, financiers et juridiques sont particulièrement pertinents pour optimiser l’IT en tirant partie du cloud, car le cloud oblige à des calculs d’utilisations pour optimiser financièrement les ressources informatiques de l’entreprise. Des outils se développent aussi pour répondre à ce besoin de pilotage fin de la consommation : je pense notamment à Beam de Nutanix qui se rémunère sur l’optimisation budgétaire réalisée, par exemple en conseillant de commissionner ou non des machines virtuelles, car avec le cloud on provisionne souvent mais on décommissionne peu ! »

Quel est le prérequis de tout achat IT, et qu’est-ce qu’un « juste prix » ?

Retour aux fondamentaux : un achat IT répond à un besoin clairement exprimé…

Jean-Guy Philip de Saint Julien, AP-HP : « Il est important d’avoir une juste estimation du besoin pour prévoir le budget d’un projet, parce qu’un bon achat c’est un achat qui correspond à un besoin parfaitement calibré avec le bon niveau de qualité et de prix. Néanmoins, le secteur des marchés informatiques étant particulièrement volatile et changeant, nous prévoyons dans nos marchés à bons de commandes sur quatre ans un montant maximum contractuel pouvant aller à 150 ou 200 % du montant notifié, permettant aux équipes de la DSI de faire face à certains aléas inhérents à la conduite des projets informatiques.»

…et anticipe les besoins futurs

Arlette Quilleré, CRT : « Anticipez les besoins actuels et futurs, car un achat de matériel vous engage pour 3 à 5 ans. Si vous choisissez une offre cloud pour réduire vos amortissements et la maintenance, attention Le cloud n’aura d’intérêt qu’en cas de grandes variations de votre activité, en solution de débordement par exemple, mais à l’usage, il pourra être trois fois plus cher qu’une solution sur serveur en propre. »

Comment gérez vous la composante juridique des contrats avec les grands éditeurs et constructeurs IT ? Et comment garder la main face à certains grands fournisseurs qui veulent imposer leurs conditions contractuelles?

Pour éviter les « surprises budgétaires », le DSI a intérêt à piloter finement ses contrats, morceler ses contrats pour garder du poids face à certains fournisseurs, et prendre l’initiative sur les enjeux de conformité logicielle.

Arlette Quilleré, CRT : « La partie contractuelle fait partie de ma mission de DSI. Certains éditeurs sont « créatifs » sur la facturation des usages indirects, ce qui peut amener à freiner des projets. J’ai été sensibilisée à ce sujet à travers le CRIP et je maintiens donc un état des lieux de mes assets et un suivi de ma compliance. J’évite les bundles et n’irais donc jamais acheter de logiciels Oracle à cause de leur politique. Je conseille de dénoncer les contrats et de les morceler pour pouvoir sortir contrat par contrat ou changer de catégories de licences. Par exemple choisir certaines licences d’occasion, penser à l’open source comme mySQL, et décorréler licences et maintenance. »

La dimension juridique des contrats est tout aussi importante que leur dimension économique. Négocier un juste prix de marché ne suffit pas, il faut aussi s’efforcer de négocier les clauses de sortie du contrat pour laisser la porte ouverte à de futurs fournisseurs.

Jean-Guy Philip de Saint Julien, AP-HP : « Notre département des marchés IT à ACHAT intègre les fonctions de juristes de la commande publique et les fonctions d’experts-acheteurs. L’intégration de ces deux pôles au sein du même service permet de réaliser un marché public qui soit non seulement fiable juridiquement mais aussi économiquement performant et correspondant aux réels besoins de nos clients internes de la DSI.

En effet l’acte d’achat est complexe car au-delà du respect incontournable de principes juridiques contraignants, il est de plus en plus considéré par les acteurs comme un acte économique fort qui permet de faire converger l’expression d’un besoin fonctionnel avec une offre technico-économique efficiente.

Ainsi par exemple, nos experts acheteurs, en lien avec la DSI, conduisent des actions de sourcing afin de cerner au mieux le tissu économique des entreprises qui pourront répondre à nos appels d’offre et déterminer ainsi au mieux un prix du marché. »

Chaque DSI doit conserver la main sur sa roadmap indépendamment des choix propres aux grands éditeurs.

Catherine Savaete, Rimini Street : « Nos clients DSI parlent souvent de règles du jeu, lorsqu’ils évoquent leur relation avec les grands éditeurs. Si ces règles sont définies unilatéralement par l’éditeur, en fonction de ses contraintes de sortie de nouvelles versions, de ses contrats et de ce qu’il a défini comme fonctionnalités et usages, ce ne sont pas des règles équilibrées pour les entreprises. Il est important que les DSI et les directions achats fassent valoir l’analyse économique de leurs enjeux, leur définition d’un juste prix pour une prestation IT informatique, et puissent conserver la main sur leur plan de déploiement informatique.  »

Le travail d’une direction des achats IT commence donc en amont avec le sourcing, jusqu’à la négociation des conditions contractuelles et le suivi du contrat sur la durée. Comment résumeriez-vous le rôle que vous jouez vis à vis de la DSI ?

DSI et direction des achats n’ont pas la même façon d’appréhender un achat IT, mais sont complémentaires dans leurs approches

Jean-Guy Philip de Saint Julien, APHP : « Nous sommes là pour protéger les intérêts de l’AP-HP et par conséquent, les utilisateurs qui travaillent à la DSI ou dans les Groupes hospitaliers. Les collègues de la DSI ont des préoccupations légitimement plus centrées sur les impératifs d’efficacité opérationnelle. Une de nos missions est justement d’anticiper les problèmes d’exécution contractuelle afin de protéger, à titre préventif, les utilisateurs finaux et la DSI. Un bon contrat permet justement de donner des armes à la DSI pour se protéger: quand une direction des achats définit des clauses de pénalité, c’est en pensant à ses clients internes ! »

 Quelles compétences peut acquérir un DSI pour muscler son approche des achats IT, quand il ne peut pas s’appuyer sur une direction des achats ?

Les compétences budgétaires et juridiques d’un DSI, et sa capacité à collaborer avec des experts de ces domaines, sont aujourd’hui devenues centrales pour son employabilité et pour la réussite de ses projets.

Arlette Quilleré, CRT : « On recherche désormais des DSI avec la double compétence technique et management, ce qui intègre les compétences achats. Des formations sont dédiées à ces enjeux, comme par exemple la formation « pilotage du système d’information » d’HEC Paris, qui intègre la maîtrise des enjeux juridiques des données et des contrats. »

Comment une DSI, une direction des achats et un prestataire peuvent-ils mieux collaborer ?

La collaboration entre départements est au cœur de la réussite des projets, que ce soit avec les métiers ou avec une directions des achats. Pour partir du bon pied, cadrez ces échanges avec une charte.

Jean-Guy Philip de Saint Julien, AP-HP : « Nous agissons en symbiose avec la DSI ; nous sommes comme deux chats siamois, deux directions autonomes qui travaillent ensemble pour aboutir à un résultat commun de qualité. Pour y parvenir, nous avons mis en place une Charte de fonctionnement décrivant « qui fait quoi », entre la DSI et la Direction des Achats IT. Cela prend la forme d’une matrice RACI (Responsible, Accountable, Consulted, Informed) qui décrit les process d’achat de bout en bout et les rôles de chacun à toutes les étapes. »

Les achats IT en résumé

Un achat IT a toujours été un acte complexe, car il engage la DSI sur son budget, sa responsabilité juridique, et sa capacité à répondre aux besoins de ses utilisateurs. Le cloud computing est venu complexifier encore plus cette démarche en simplifiant la consommation, mais aussi en provoquant quelques dérapages budgétaires. Un DSI est donc jugé sur sa capacité à faire les bons choix, au juste prix, et a tout intérêt à collaborer étroitement avec les autres directions de l’entreprise, et sa direction achat quand il ne cumule pas cette fonction. L’objectif d’un bon achat IT : coller au plus près de la réalité économique, réussir les bons paris technologiques et faire sauter les verrous juridiques des contrats pour garder l’agilité de changer. 

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